Solenn Tenier
Narration et description
Discrimination et fichage
OMG - Odd Mutant Gang, est un travail artistique questionnant, à travers un catalogue fictif, cette culture identificatrice, par une répertorisation des données et une classification identitaire. Partie intégrante du projet HDS - Human Digital System, cette pratique a pour point de départ un récit d’anticipation.
Chères Citoyennes,
En vue de lutter contre une criminalité croissante, le 12 septembre 2069 une nouvelle loi pour la prévention contre la nuisance masculine a été votée. Parallèlement, le gouvernement a dû mettre en place une nouvelle organisation nommée O.M.G : Odd Mutant Gang. Un grand nombre de féministes mondialement actives ont été recruté. L'objectif de cette organisation est de répertorier et ficher le top cent des hommes « potentiellement nuisibles aux femmes ». Après de longs mois d'investigation, O.M.G s’apprête à rendre son précieux compte rendu au gouvernement.
Charly Ralph
OMG
Le 2 avril 2070
Nous pouvons traduire Odd Mutant Gang par Bande d’Étranges Mutants. Il illustre « ces types », réunis dans le catalogue et représentants un gang d’individus en permanente mutation interne et externe, ce qui les rend incohérents et curieux. Le crime qui leur est reproché a pour objet « l’abus de confiance ». Ces cent hommes ont été profilés pendant deux ans sans le savoir.
Ce catalogue puise son contenu au sein de deux référents, Facebook et le procès-verbal judiciaire. Facebook est utilisé pour son caractère fonctionnel et actuel. En effet, les répercussions de l’utilisation des réseaux sociaux sur notre vie quotidienne, permettent l’authentification avancée de la plupart des individus grâce à une pluralisation des identités numériques. Le procès-verbal est l’objet nécessaire à l’arrestation de ces individus, par les agents secrets. Le catalogue est composé d’une réquisition judiciaire, suivi de cent procès-verbaux. La réquisition judiciaire effectuée par le Directeur général Manolo Jacobs (1), a pour objectif d’autoriser sept agents à profiler, auditionner, puis répertorier les auteurs d’abus de confiance. Les dix questions qui devront être posées aux présumés innocents lors des auditions, sont jointes à cette réquisition judiciaire :
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Combien de copines as-tu eu ?
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Combien de plans sexuels as-tu eu ?
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Combien de plans sexuels as-tu eu ?
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Combien de fois as-tu trompé pendant une relation ?
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Quelle est ta plus longue relation amoureuse ?
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Combien de fois as-tu habité avec une fille ?
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Combien d’enfants as-tu ?
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Combien de fois es-tu tombé amoureux ?
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As-tu déjà fait des breaks pendant une relation ?
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Si oui, combien ? Es-tu actuellement célibataire ? 69 (TDA) (2)
Les pages suivantes sont composées des procès-verbaux, présents sur une double page. Sur la page de gauche, se dresse un procès-verbal où y apparaît : l'année de création, le jour, le mois et l’heure. Le nom de la personne ayant effectué ce procès-verbal, ainsi que sa fonction. Plus bas, l'identité de la personne auditionnée est déclinée par le biais de différentes informations comme : son nom et son prénom, sa date de naissance et son lieu de naissance, sa nationalité, son origine, les études effectuées, sa profession, son statut, son opinion politique, sa religion, son adresse électronique, sa domiciliation et son numéro de téléphone personnel. Tout en bas de la page, une photographie permet de visualiser la personne concernée. Enfin, sur la partie gauche de la page, se tient une colonne sur laquelle apparaissent deux éléments très importants, l'affaire et l'objet ayant entraîné ce procès-verbal. Sur la page de droite, apparaissent les réponses aux questions posées par les agents secrets et présentent dans la réquisition judiciaire.
Ce catalogue puise son contenu au sein de deux référents décontextualisés (Facebook et le procès-verbal). Les données, entre fiction et réalité, se réactualisent en se noyant les unes dans les autres et en formant une nouvelle unité. En perturbant le rapport à la réalité sans pour autant viser à gérer le réel, en essayant de bouleverser les attitudes et les mentalités conditionnées, en unissant au même endroit des hommes ayant pour tort d’être soupçonnés d’abus de confiance, une certaine manipulation s’installe et créer un doute chez le lecteur.
C’est alors que le travail pose plusieurs questions. Ce qui nous intéresse ici, n’est pas la technique en elle-même, mais « l’action de » et ses conséquences (1). Il est question d’une répertorisation de la gente masculine, d’hommes de toutes origines, de tous âges, de tous milieux sociaux. À travers ce fichage, l’identité sexuelle (catégories biologiques) est davantage influente que l’identité sexuée (l’attitude développée). Ce qui doit ressortir de ce travail est le caractère discriminatoire de ce fichage et en particulier des questions posées, prédéfinies dans l’association entre identité sexuelle et sexuée.
En créant ce répertoire, ayant pour objectif final de dénoncer cette catégorisation des individus et de leur identité, j’ai moi-même commis cette erreur. Lors des interrogatoires, j’ai toujours pris pour acquis l’hétérosexualité normée de ces hommes. Or, une question en particulier doit être modifiée en y ajoutant « boyfriends » : How many girlfriends / boyfriends have you been with ? Cette prise de conscience de l’existence de différents genres subversifs (2), comme l’entend Judith Butler dans son ouvrage Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité, offre une toute autre perspective à ce catalogue. Eric Fassin considère que le sexe est un ensemble de catégories physiques spécifiques. Le genre, lui, en est l'interprétation culturelle : La sexualité est liée au genre, car les normes de genre traversent la sexualité. Pour autant, elle n'a pas simplement la confirmation du genre : loin de l'affermir, elle peut ébranler en retour. Il n'est donc question, ni de fusion de dérive de type. C'est lorsque s'entrechoque le genre et la sexualité que naît le trouble du genre.(3)
OMG – Odd Mutant Gang, ne prend pas en compte l’individualité des personnes concernées et écarte de fait l’unicité et l’originalité de l’individu. A contrario, le travail artistique incarne ces mythes fondateurs qui cimentent les apparences en catégories non-dynamiques, raciales, ethniques, de classes, de genres et qui constituent des identités volées.
(1) Mettons de côté, l’aspect technique du travail, laissons de côté, toutes les notions et interrogations charriées par l’utilisation des NTIC, en tant que outils de répertorisations des données personnelles et de catégorisation des identités. Nous étudierons cet aspect au mouvement 2.
(2) Annexes. Solenn Tenier, « Le voguing et la subversion du genre », 100pour100culture.com, 18 janvier 2017, http://www.100pour100culture.com/danses/le-voguing-et-la-subversion-du-genre/.
(3) Eric Fassin, « Préface à l’édition française » (2005), in Judith Butler, Trouble dans le genre, Editions la Découverte, Paris, 2006, page 13.
(1) Directeur Général de O.M.G. Nom fictif.
(2) How many girlfriends have you been with? How many times have you cheated in a relationship? How long was your longest relationship? How many times do you live with a girl? How many kids do you have? How many times have you ever fall in love? Have you ever had to take a break from a relationship? If yes, how many times you cheated in a break? Are you currently single?.